La semaine dernière, le Premier ministre et la ministre de l’Education ont débarqué dans leur lycée Victor Hugo de Marseille.
 Un établissement du centre-ville classé ZEP, avec 85% d’élèves boursiers.
«Mais quelle frustration ! Cette visite était un montage de toutes pièces, ce que Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem ont vu ne correspond pas du tout à notre réalité et nos difficultés», déplore, pleine d’amertume, une jeune prof, préférant que son nom n’apparaisse pas, de peur d’être inquiétée par sa hiérarchie.
Elle raconte : «L’administration a fait chanter la Marseillaise à des élèves triés sur le volet. Ils ont carrément été dispensés de bac blanc pour répéter ! Le jour J, il y avait des flics dans la salle des profs soi-disant pour des raisons de sécurité. C’était évidemment pour empêcher toute protestation…»

Une partie des profs voulaient interpeller les ministres sur l’avenir encore flou des lycées classés ZEP.

 Si une réforme est en cours concernant les collèges et écoles difficiles, qui passent sous l’appellation REP à la rentrée, aucune annonce précise n’a encore été faite concernant les lycées, entretenant un climat d’inquiétude au sein des équipes.
Beaucoup craignent l’éviction de leur lycée du dispositif, et donc la suppression des moyens supplémentaires accordés.

Leur lycée, «un prétexte télégénique»

Alors, quand ils ont été informés de la venue des ministres dans leur lycée, les membres de la section syndicale ont aussitôt demandé qu’une délégation de profs puisse être entendue.
«Ils ont été reçus… mais par les services de l’inspection d’académie, hors du lycée donc», dénoncent des profs, dans une lettre ouverte, qu’ils publient dans Libération (voir ci-dessous).
 Le ministère de l’Education précise qu’un membre du cabinet était présent.

Outrés de «cette mascarade», une vingtaine d’enseignants se sont décidés à raconter «la face cachée» de cette visite.
Ils regrettent que leur lycée n’ait été «qu’un prétexte télégénique où certains personnels et élèves ont été mis en scène pour représenter une réalité tronquée, celle de la réussite d’une minorité d’élèves alors que nous réclamons des moyens réels bénéficiant à tous.»
 Les deux ministres ont rencontré une petite dizaine d’élèves faisant partie des dispositifs «bacheliers méritants», sur le millier de lycéens de Victor Hugo.
«C’est bien que cela existe mais ne parler que d’eux, c’est exclure tous les autres…», regrettent les enseignants.
«Un déni de réalité et un mépris des élèves et des personnels qui vivent le lycée au quotidien.»

Une partie des lycéens s’est sentie dupée.
 Une élève de première, jointe par téléphone, témoigne : «Cela ne correspondait tellement pas à ce qu’on vit tous les jours… Jamais le lycée n’a été aussi propre. Ils ont carrément fermé le CDI pendant deux jours pour tout préparer…»

 Les affiches de caricatures qu’avaient faites des élèves sur la liberté d’expression ont été enlevées, raconte-t-elle.
A la place, a été scotchée la charte de la laïcité.

«Que peuvent connaître ceux qui nous gouvernent de la réalité ?»

Cette démarche de lettre ouverte ne fait pas l’unanimité dans l’équipe.
«Certains ont vécu la venue des ministres comme un honneur. D’autres, plus anciens, disent que les visites d’officielles, c’est toujours comme ça, un peu artificiel», témoigne l’enseignante. «Mais si c’est ainsi que se passent les visites ministérielles, en cachant les contradictions et les difficultés, que peuvent connaître ceux qui nous gouvernent de la réalité des quartiers populaires et des écoles ?», questionnent les profs dans leur lettre ouverte.
Le proviseur de l’établissement, lui, tombe des nues, «abasourdi», dit-il, qu’on l’interroge à ce sujet.
Il ne souhaite pas faire de commentaire pour l’instant, souhaitant s’en référer à sa hiérarchie. Contacté, le cabinet de la ministre de l’Education souligne le caractère un peu exceptionnel des mesures de sécurité, liées à la présence de Manuel Valls.
 «Quand la ministre se déplace seule, ce n’est pas le même déploiement de moyens, même si évidemment, ce n’est pas complètement représentatif du quotidien.»
 Pour la première fois, lundi, assure son cabinet, Najat Vallaud-Belkacem a expérimenté un déplacement dans un collège du Nord de la France, sans médias et en prévenant le chef d’établissement au dernier moment, pour «justement être le plus proche possible de la réalité».

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